Rémi Lelu de Brach (Quilvest Gestion) : « Les mesures de la BCE pourraient faire revenir près de 280 milliards d’euros dans le marché »

Rémi Lelu de Brach (Quilvest Gestion) : « Les mesures de la BCE pourraient faire revenir près de 280 milliards d’euros dans le marché »

Le pari de la Banque centrale européenne portera-t-il ses fruits ? La réunion du 5 juin 2014 a marqué un tournant dans l’histoire de la politique monétaire au sein de la zone euro, avec la mise en place d’un taux de dépôt négatif et la fin de la stérilisation du Securities Market Program (SMP). Rémi Lelu de Brach, gérant taux chez Quilvest Gestion, revient sur ces changements.

Les annonces récentes de la Banque Centrale Européenne n’ont pas déçu. Abaissement du taux de refinancement au niveau historique de 0,15%, taux de dépôt négatif (-0,10%), abaissement du taux de prêt marginal à 0,40% vs 0,75% précédemment… Que pensez-vous des décisions prises par Mario Draghi ?

Rémi Lelu de Brach : Les décisions de la Banque centrale européenne (BCE) n’ont en effet pas déçu les marchés ! Depuis six mois, Mario Draghi se contentait d’une stratégie basée sur la communication. Il aura répondu, en une seule réunion, aux principales attentes.

L’une des annonces les plus surprenantes est cependant celle de la fin de la stérilisation des titres de dettes achetés dans le cadre du Securities Market Program (SMP). Cela représentait un encours d’environ 165 milliards d’euros. Jusqu’ici, la BCE émettait des instruments de dette à court terme, de façon hebdomadaire et dans des montants équivalents à ceux des titres de dettes achetés, ce qui avait pour conséquence de maintenir les liquidités du marché au même niveau. L’arrêt de la stérilisation peut être perçu comme une forme d’assouplissement quantitatif.

Entre les liquidités déposées sur la facilité de dépôt à la BCE (32 milliards d’euros) et les réserves excédentaires (91 milliards d’euros), ce sont 123 milliards d’euros qui pourraient par ailleurs être réinjectées par les banques, cette fois dans le marché interbancaire, pour éviter de perdre de l’argent à cause de taux négatifs.

Au total, les mesures de la BCE pourraient donc faire revenir près de 280 milliards d’euros dans le marché.

Les rendements des emprunts d’Etat à la périphérie de l’Europe (Grèce, Italie, Portugal, Espagne) ont nettement reculé suite aux annonces de la BCE. Est-il encore possible de se positionner sur les obligations souveraines, sans prendre de risques démesurés ?

R.L : Nous trouvons les obligations chères. L’emprunt d’Etat espagnol 10 ans se négocie actuellement à 2,65% de rendement, alors que les Bons du Trésor US équivalents s’échangent à 2,58%. Soit à peine 7 bps de moins, pour des pays aux profils bien différents. Si la Réserve Fédérale poursuit la fin de son programme d’assouplissement quantitatif, cela pourrait, à terme, favoriser le dollar. Les mesures d’assouplissement décidées par la BCE pourraient par ailleurs peser sur l’euro. Malgré des rendements quasi-identiques, détenir de la dette américaine pourrait donc être plus intéressant que détenir de la dette espagnole.

Cependant, si l’on compare la dette espagnole avec des obligations d’entreprises jouissant de la même notation, on se rend compte que les rendements sont à peu près équivalents.

Quels sont, selon vous, les principaux risques dans la zone euro à l’heure actuelle ? Aggravation de la crise ukrainienne ? Persistance d’un euro fort ? Croissance atone ? Chômage élevé ?

R.L : La crise ukrainienne n’est, selon moi, pas un problème. Le marché ne réagit plus aux annonces ou aux mouvements affectant la région. A part les Etats-Unis, aucun pays européen ne semble être en mesure de s’interposer sérieusement face aux velléités russes.

Les vrais risques sont économiques. Un euro fort continuerait de poser problème, en particulier pour les entreprises exportatrices françaises. Rien ne laisse cependant croire que l’euro puisse descendre en-dessous de 1,30 face au dollar à court ou moyen terme. Une croissance en berne sur le Vieux Continent, un chômage élevé et la persistance d’un euro fort sont autant de raisons qui ont poussé la BCE à agir. Les mesures entérinées par cette dernière pourraient, in fine, relancer la croissance via le crédit aux entreprises.

Aux Etats-Unis, les interventions de la Réserve Fédérale obéissent à un mandat dual (inflation et emploi), ce qui n’est pas le cas de la Banque Centrale Européenne (inflation). La reprise économique aux Etats-Unis est-elle suffisamment forte pour que s’accélère la fin du programme d’assouplissement quantitatif ? Quel impact les décisions américaines peuvent-elles avoir sur les obligations de la zone euro ?

R.L : L’espoir vient peut-être des Etats-Unis. Un resserrement opéré par la Réserve Fédérale, caractérisé par l’arrêt de l’achat d’emprunts d’Etat et le relèvement des taux directeurs courant 2015, pourrait provoquer une appréciation du billet vert face à l’euro.

La reprise économique que connaît le pays est forte, mais elle est singulière au regard de l’histoire. D’habitude, la reprise est synonyme d’embauches, puis de consommation et donc de bénéfices pour les entreprises. Or, cette fois-ci, la reprise américaine est tirée beaucoup plus par l’augmentation des bénéfices des entreprises que par celle de leur chiffre d’affaire, ainsi, le marché de l’emploi semble moins dynamique qu’il ne devrait l’être. Le taux de chômage est resté stable à 6,3% en mai mais le taux de participation au marché de l’emploi, c’est-à-dire la part de la population active qui travaille est à 62.8% au plus bas depuis plus de 30 ans. L’inflation reste contrôlée (+2% en rythme annuel).

Cette situation est un véritable boulevard pour la Réserve Fédérale, qui n’a ni besoin d’être trop accommodante au vu de l’inflation, ni trop rapide dans l’arrêt de son programme d’assouplissement quantitatif. Elle se contente de laisser la croissance économique s’installer.

Dans un environnement à taux bas, quelles obligations privilégier en Europe ? La classe « high yield » présente-t-elle encore des rendements suffisants ? Faut-il s’intéresser à des crédits plus hybrides tels que les obligations convertibles ?

R.L : Nous privilégions les obligations high yield ou les obligations convertibles, encore rémunératrices, même si chacun doit rester vigilant quant au risque pris. L’appétit pour la classe d’actif est tel que certaines grandes entreprises profitent de leur réputation pour émettre à des niveaux qui ne nous semblent plus attractifs (par exemple la dernière émission Air France 7 ans à 4%).

Les investisseurs font face à deux types de risque sur ces instruments. D’une part, une hausse des taux de défaut, mais les entreprises de la zone euro ont clairement assaini leurs bilans et offrent une visibilité accrue sur leurs résultats à moyen terme. D’autre part, une remontée rapide des taux, mais la faible inflation dans la zone ainsi que les annonces récentes de la BCE laissent penser qu’une telle situation n’est pas prête de se produire à court terme.

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