Qu’est-ce qu’un Corner ? Explications & exemples d’une manipulation de marché basique

Qu’est-ce qu’un Corner ? Explications & exemples d’une manipulation de marché basique

Des stratégies de trading aux techniques de spéculation, la frontière entre la légalité et l’illégalité est parfois ténue. Le corner est un exemple typique de manipulation, quasiment aussi vieille que l’existence même des marchés. De nombreuses règles sur les marchés ont par ailleurs été instaurées suite à des manipulations plus ou moins ratées. Mais qu’est-ce qu’un corner exactement ? Quels sont les exemples historiques de corners ?

Le « corner » : Définition

Un corner peut être défini comme une tentative relativement simple de manipulation d’un marché à terme, consistant à détenir une grande partie de l’offre physique, tout en détenant parfois une grande partie des contrats à terme (position longue). Les intervenants du marché s’étant positionnés sur des positions courtes se retrouvent acculés à mesure que les dates de livraison des futures approchent. L’impossibilité de déboucler leurs positions sur les contrats futures, en prenant une position inverse (rachat), les conduit à acheter le sous-jacent physique, en vue de le livrer. Or, l’offre étant elle-aussi contrôlée, et donc disponible en quantité limitée, les prix s’envolent.

Exemples de corners

VIème siècle av. J.-C. – Thalès & la récolte d’olives. Le plus vieil exemple de corner provient probablement de l’Antiquité. Le philosophe et savant grec Thalès, habituellement connu pour son fameux théorème, aurait pu profiter de ses talents d’astronomes pour s’enrichir. Selon Aristote, il aurait en effet prédit, grâce aux étoiles, une récolte importante d’olives, qu’il se serait approprié en monopolisant les pressoirs de Milet et Chios. Les acheteurs devinrent ainsi dépendants de son offre, ce qui aurait pu l’enrichir considérablement.

Septembre 1869 – Scandale Fisk-Gould & le Vendredi Noir. Après l’arrivée au pouvoir d’Ulysses S. Grant, en mars 1869, les Etats-Unis faisaient face à un endettement majeur, causé en grande partie par la Guerre de Sécession. L’administration promit de rembourser les Bons du Trésor et les dollars en or, dès que possible. Les cours du métal jaune fluctuaient en fonction des émissions de dette. De grandes émissions faisaient baisser le prix de l’or, et vice-versa. Les financiers James Fisk et Jay Gould tentèrent un corner sur l’or, en profitant justement des informations qu’ils pouvaient avoir sur les prochaines émissions.

Octobre 1887 – Corner sur le cuivre. L’un des corners les plus importants de l’Histoire est celui qui eut lieu sur le cuivre en 1887. Celui-ci fut l’œuvre de l’industriel Eugène Secrétan qui, installé à la tête de la Société des métaux, demanda aux principales mines de cuivre de lui réserver jusqu’à un tiers de leur production au cours des trois prochaines années. Devant la baisse de la consommation de métal rouge due au doublement des prix, l’augmentation des mines à travers le monde, et le manque subséquent de soutien à la Société des métaux de la part des banques, les prix finirent par chuter.

Octobre 1907 – Panique des banquiers. Le 14 octobre 1907, les actions de la United Copper Company évoluaient au-dessus de $62. Deux jours plus tard, elles clôturaient à $15, signant au passage le début de la ruine de Fritz Augustus Heinze. Ce dernier, entrepreneur ayant fait fortune dans le cuivre, avait tenté d’étrangler les actions. En vain. S’en suit une incroyable panique bancaire, affectant d’abord le courtier Gross & Kleeberg, dont Heinze était le client. Puis celle de la Caisse d’épargne du Montana, société de Heinze. La Mercantile National Bank, dont Heinze était le président, pâtit des rumeurs circulant sur le marché : ses épargnants se ruent sur les guichets afin de retirer leurs dépôts. Les banques des associés de Heinze sont également affectées. Il faudra attendre le plan de sauvetage mis sur pieds par J. P. Morgan pour que Wall Street sorte de sa crise de confiance.

Automne 1955 – Corner sur l’oignon. Sam Seigel et Vincent Kosuga, producteurs et traders du Chicago Mercantile Exchange, achetèrent, à l’automne 1955, suffisamment de contrats futures sur l’oignon pour détenir 98% du marché. Ils menacèrent les autres producteurs d’inonder le marché avec leurs oignons entreposés si ceux-ci n’achetaient pas leurs stocks. Lorsque les producteurs se mirent à acheter les oignons, Seigel et Kosuga prirent des positions courtes sur les futures, et firent bouger leurs stocks à travers le pays, donnant l’impression au reste du marché que leurs stocks étaient trop importants, ce qui fit alors chuter les prix. L’enrichissement brutal de Seigel et Kosuga ainsi que la ruine de petits producteurs d’oignons causèrent de vives protestations au sein de la population américaine et de la classe politique. Afin d’éviter toute nouvelle manipulation, le Congrès adopta l’Onion Futures Act, bannissant l’échange de futures sur oignons.

Mars 1980 – Corner sur l’argent. Début 1979, une once d’argent s’échangeait pour $6. Quelques mois plus tard, celle-ci atteignait les $48,70. Les frères Hunt, pétroliers texans richissimes, en étaient arrivés à détenir près d’un tiers de l’offre mondiale, afin de dicter les prix sur le marché. Face au risque systémique que peut représenter ce corner, les règles du COMEX sont changées en janvier 1980. La « Règle de l’argent n°7 » impose des dépôts de garantie prohibitifs pour les acheteurs, et limite le nombre de contrats futures pouvant être détenus par un seul investisseur. Le 27 mars 1980, jour du fameux « Silver Thursday », le cours de l’argent est divisé par deux, passant de $21,60 à $10,8 l’once. L’empire de Nelson Bunker Hunt et William Herbert Hun finit de s’écrouler.

1992-1995 – Corner sur le cuivre. Pendant près de trois ans, un cadre de la Sumitomo Corporation, Yasuo Hamanaka, s’est livré à un corner sur le cuivre. Celui-ci passait principalement par le London Metal Exchange, allant jusqu’à accaparer 5% de l’approvisionnement annuel mondial. Mais l’apparition de la Chine dans les rangs des pays producteurs, en 1995, commence à sonner le glas de « Mr Copper ». Le débouclage de ses positions, en vendant des futures, ne fait qu’accélérer la chute des cours du cuivre. En septembre 1996, les pertes de la Sumitomo Corporations furent estimées à plus de $2,6 Mds. M. Hamanaka fut par ailleurs condamné à huit ans de prison.

Octobre 2008 – Corner sur Volkswagen. Volkswagen, devant Exxon ou Apple ? Le 30 septembre 2008, le fabricant automobile basé à Wolfsbourg devient, brièvement, la plus grande capitalisation de marché au monde. Avant de voir son cours s’effondrer de près de 75% quelques mois plus tard. Que s’est-il passé ? Porsche, comme indiqué dès le début de l’année par son conseil d’administration, souhaitait contrôler Volkswagen et augmentait régulièrement sa part dans le groupe concurrent. Les hedge funds, pensant que le titre allait corriger une fois le contrôle de Volkswagen acquis, se mirent à vendre à découvert le titre. A leur grande surprise, fin octobre, Porsche annonce posséder 42,6% de la compagnie en actions, et détenir des options afin de posséder 31,5% additionnels. Le Land de Basse-Saxe, qui détient pour sa part 20% du constructeur, affirme ne pas souhaiter sans débarrasser. Le flottant est réduit à sa portion congrue sur le titre, soit à peine 6%. Les actions encore disponibles sur le marché étant rares, le cours s’envole.

Juillet 2010 – Corner sur le cacao. 240.100. C’est précisément le nombre de tonnes de fèves de cacao achetées à l’été 2010 par Anthony Ward, cofondateur d’Armajaro. Pour un montant avoisinant le milliard de dollars, le financier surnommé « Choc Finger » s’est ainsi offert près de 7% de la production annuelle mondiale. Une pratique habituelle pour M. Ward puisqu’il s’agit de son troisième corner, le premier ayant eu lieu en 1996 pour 300.000 tonnes de fèves, et le second en 2002, cette fois pour « à peine » 202.000 tonnes.

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