La disparition de Kidder Peabody, illustration de l’arbitrage entre marché au comptant et marché à terme

Bureau de Kidder Peabody

Début octobre 1994, Paine Webber & Co. annonce le rachat de Kidder Peabody, l’une des plus anciennes banques d’investissement de Wall Street, pour 670 millions de dollars. En janvier 1995, cette dernière est définitivement absorbée, et son nom disparaît dans les oubliettes de la finance, entre pertes et fracas. Que s’est-il passé ?

Sur les marchés, il était fréquent de voir les obligations gouvernementales à coupons « découpées » en plusieurs morceaux, appelés « strips », afin de les traiter séparément. En achetant les différents strips, un opérateur pouvait donc reconstituer l’obligation originelle. Joseph Jett, trader sur obligations gouvernementales au sein de Kidder Peabody, a profité pendant des années d’un bug informatique pour enregistrer frauduleusement des profits sur ses transactions. Sa stratégie était relativement simple : acheter des strips au comptant, et revendre l’obligation sur le marché à terme. La différence entre les deux prix était perçue, à tort, comme un profit par les systèmes informatiques de sa société. Pour un actif d’investissement ne versant pas de revenu intermédiaire, la différence entre le prix au comptant et le prix à terme n’est autre que le coût de financement :

F0 = S0 * exp(rT)

Afin de continuer à dissimuler ses profits fictifs, Joseph Jett suivait la méthode de remplacement ou « roulement » de ses positions sur ses contrats à terme, avant l’échéance de ces derniers. Ses positions devaient également devenir de plus en plus importantes afin de contrebalancer les pertes enregistrées sur les dénouements (elles-mêmes camouflées par les nouvelles prises de positions, enregistrées comme des profits). C’est ce qui causa l’arrêt de sa stratégie. Ses positions étaient devenues tellement importantes au regard du bilan de General Electric (propriétaire de Kidder Peabody), qu’ordre lui fût donné de limiter ses positions. L’impossibilité de rouler les positions dans des proportions suffisamment grandes dévoila l’immensité de la fraude mise en place.

Diplômé du MIT et de la Harvard Business School, Joseph Jett avait rejoint les rangs de Kidder Peabody en juillet 1991. En 1993, le desk des obligations gouvernementales représentait 20% des 439 millions de dollars du bénéfice d’exploitation de la firme. Après avoir reçu un bonus de $5.000 en 1991, Joseph Jett fut gratifié d’une compensation variable de $2,1 millions en 1992, puis $9,3 millions en 1993. Selon la firme, ce sont près de 350 millions de dollars de bénéfices fantômes qui étaient enregistrés dans les systèmes, lorsque le scandale éclata au grand jour.

Après 129 ans d’existence et une dernière décennie marquée par les scandales (délit d’initié de Martin Siegel, falsification des profits de Joseph Jett), Kidder Peabody disparût, sans gloire, des allées de Wall Street.

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